HARRAGAS Mille neuf cent soixante quatorze, Base aérienne de El Hamdounia.
(Cette base n’existe plus et je ne sais ce qui est en lieu et place actuellement.)
Quelques jeunes appelés sous les drapeaux, nouvellement incorporés, bien mal à l’aise, ne tenaient pas sur place. A part la toute belle tenue bleue à laquelle ils ont eu droit à leur arrivée, ils
ont été désappointés par ce qu’ils constatèrent sur place.
Ils s’attendaient peut-être à mieux, quand même !
Lever très tôt le matin, corvées multiformes et exercices physiques éprouvants dans le cadre de leur formation militaire, popote bien au-delà de l’insuffisance dont ils ont entendu parler avant de
venir, méfiance envers les anciens qui pouvaient leur jouer bien des tours !
Toutes les faveurs et les petites attentions de leurs chers parents avant d’endosser l’uniforme ont dès lors disparu et la vie aussi dure que nécessaire pour former des hommes (idée érigée en
dogme) était là avec ses exigences et ses disproportions, ses incompréhensions et les révoltes de tout un chacun devant ses abus, ses excès !
Alors, quelle réponse fallait-il apporter à ce fardeau qu’ils supportent péniblement jusque là qui se résume à leur acceptation forcée des règles militaires imposées. Il faut savoir tout endurer et
il faut souffrir et se taire en toute circonstance.
La réponse consiste alors en la fuite salvatrice, en la …désertion !
La désertion, quel mot !
Déserter équivaut à s’exposer au pire, à la cour martiale à la honte et au titre de renégat, de traitre, de félon, à vie ! En période de guerre, déserter veut dire risquer une balle dans la tête
par sa hiérarchie sans aucune forme de procès !
Et pourtant, en connaissance de ces règles établies, dures mais claires et à chaque fois que l’occasion est donnée à l’un de ces jeunes à peine sortis de l’adolescence, ils n’hésitent pas le
moindre moment à y aller ! Alors ils y vont et parfois se font prendre tout de suite après par les éléments de la police militaire qui, connaissant sur le bout des doigts leur mission, les
rattrapent souvent dans les trains en partance vers l’est ou l’ouest et cela dans la gare centrale même de la ville. Ils sont alors réacheminés vers leur caserne d’origine sous les regards un peu
compatissants de leurs bourreaux du moment.
Le lieutenant H. ne comprend pas pourquoi cette propension à vouloir risquer gros de ces jeunes mis sous ses ordres et essaie toujours dans ces cas de régler le problème au mieux ! En général quand
il reçoit un déserteur ramené dans sa compagnie il lui fait un petit cours de morale et lui « prescrit » 8 jours aux arrêts !
-Pourquoi vas-tu jusqu’à déserter ?
-Pourtant tu as tout ici : un endroit propre où dormir, des couvertures, de la bonne restauration…….
(Le jeune homme aurait voulu répondre : je t’échangerai toutes les couvertures de la caserne pour le parfum d’une fille en ville…mais se tait et subit, sans rechigner, la leçon)
-Tu t’en tires à bon compte enjoint-il au jeune déserteur, tu connais les règles et je peux très bien t’envoyer en cour martiale ce qui bien sûr détruira complètement toute ta vie mais.... je suis
indulgent.
Cependant, une fois la peine purgée en cellule, le même jeune, dès qu’une occasion se représente à lui prend la poudre d’escampette et fait tout pour ne plus revenir ! Le lieutenant H. ne comprend
rien à ce comportement suicidaire.
Il a oublié que lui aussi est passé par cet âge là et il ne veut pas admettre qu’à cet âge-là on a besoin…d’évasion. On a besoin de vivre à fond sa vie on a besoin de découvertes, d’autre chose,
c’est légitime n’est-ce pas ? Le lieutenant H. aurait seulement du penser à mettre en place des conditions à même de satisfaire les besoins de ces jeunes : il aurait peut-être résolu
l’équation.
Deux mille huit :
El Hamdounia Jusqu’à maintenant c’est toujours le lieutenant H. qui détient le pouvoir de mettre à la disposition des jeunes de saines conditions de s’occuper au lieu de risquer de se faire manger
par quelque requin affamé en haute mer, c'est à dire: au lieu de devenir des ………..HARRAGAS! Maintenant les jeunes désertent non plus de la caserne mais du pays!
HARRAGAS: Nom généralement attribué aux jeunes et moins jeunes clandestins qui tentent de traverser la méditerranée sur des embarcations de fortune pour rejoindre l’eldorado d’en face :
l’Europe
ADOUR ABDELMADJID