« FACANCES » ET DECOUVERTES
Ahmed est émigré en titre avec carte de résidence en règle et habite avec toute sa famille du coté d’Alençon. Enfin est
arrivé ce mois de juillet tant attendu pour rentrer au bled et profiter de « facances » bien méritées. Avec 200euros, ce qui lui fait après change un pécule de 28000.00 dinars en
arrivant au bled il vivra pendant un mois une vie de pacha.
D’ailleurs, avant de partir, il a recommandé à ses enfants de ne s’habiller que du strict
minimum car ceux-ci auront tout le loisir de s’habiller pas cher là-bas ! Il a aussi prévu d’acheter quatre pneus pour sa voiture en revenant car là-bas c’est moitié moins cher en fonction
du taux de change. Avant de partir, prévenant, il a même fait installer (illicite ?) sur sa voiture, un deuxième réservoir de gasoil pour le remplir au retour ce qui lui fera une économie de
quelques deux ou trois mois de carburant (à Alençon il n’utilise sa voiture que pendant le week-end et encore.)
Et voilà Ahmed et sa petite famille en route pour Marseille d’où ils embarquèrent sur un ferry directement pour
Bejaia.
Le lendemain, après s’être reposé d’une traversée pour le moins impeccable, les conditions du voyage étant idéales et voilà Ahmed parti à la découverte de la ville.
C’est une boutique de vente de portables dans une grande rue commerçante. Elle est bien achalandée, bien entretenue, propre et le patron, un jeune homme bien débrouillard est très apte à mener à bien sa petite affaire
Il se procure la grande majorité de ses produits par le biais du marché informel ou parallèle et présente ses produits
illicites ou de contrefaçon en vitrine sans se soucier d’un quelconque contrôle
D’ailleurs il a un frère qui justement travaille au service des contrôles et est donc protégé contre toute mauvaise
surprise. Coté impôts, c’est pareil il a un autre frère qui sait le couvrir et il a beau faire des chiffres d’affaires immense pour sa petite boutique il est toujours classé au tout dernier rang
des contribuables. Son père lui est le plus heureux des hommes il a eu en tout douze enfants entre filles et garçons et chacun d’eux a été « placé » et travaille maintenant dans un
service administratif ou un autre. Ce qui fait que notre jeune patron est comblé : il veut un papier à la Mairie, il n’a qu’à demander à une de ses sœurs qui y travaille, il peut tuer des
gens dans la rue, sa sœur qui travaille au tribunal veille à l’innocenter, il veut des timbres à la poste, qu’à cela ne tienne il n’a qu’à donner un coup de fil à son frère des P et T. Quelqu’un
est dans le corps de la Police et quelqu’un d’autre est au niveau de la Douane. Ainsi C’est comme cela
la vie par ici : quand on est protégé des risques courants liés aux aléas de la vie on peut bien vivre et on peut bien percer ! Ne soyez donc pas étonné si dans un an, notre jeune
patron devienne importateur dans son domaine.
Ahmed devait acheter un téléphone portable et, tenté par le prix attrayant par
rapport aux prix en cours à Alençon, il entre dans la boutique et trouve assise sur une chaise une
belle demoiselle bronzée, short clair et débardeur assorti lunettes de soleil posées sur le haut du front et souriante.
Belle à croquer ! Ce genre de femmes embellit la vie et la ville,
pensa-t-il, de quoi se croire toujours à Alençon.
Il est accueilli par un gentil vendeur et commença alors la valse des discussions sur la qualité de tel modèle, le prix d’un tel autre, le choix étant bien large.
La porte, barrière efficace entre la douceur de la climatisation interne à la salle et la canicule du dehors,
s’entrouvrit et un jeune homme portant une barbe fournie s’invita. Il porte entre ses mains un gros casque de moto.
L’homme, jeune et de forte carrure, sportif, paraissait plutôt singulier et distinctif de par son apparence
vestimentaire ostentatoire qui indiquait manifestement et explicitement son appartenance à la mouvance islamiste : barbe imposante, pantalon court, djellaba blanche,
Ahmed se retourne, curieux, et constate le manège : le jeune barbu se tint bien en face de la fille qu’il a trouvée assise là et la regarda droit dans les yeux, oubliant presque le pourquoi de son entrée dans la boutique.
La fille, sous la pression, se fit toute petite et se ratatina sur sa chaise elle devenait gênée à vue d’œil. Elle fut
confuse et embarrassée et savait que voulait dire le regard de travers, insistant et perçant, ironique, hargneux et irascible de son désormais ennemi déclaré qui pense:
« -Cette fille est une mécréante, elle n’a pas de voile alors que jusqu’en Europe et même dans les pays scandinaves
la burka est en vogue, portée par des femmes ainsi enveloppées de la tête aux pieds et portant des lunettes solaires pour respecter la « Chariaa » et affirmer une identité
propre.
-En plus elle présente ainsi ses charmes à qui veut bien savourer du regard, elle est bien bronzée ce qui veut dire
qu’elle va souvent à la plage et elle ose se mouvoir bien à l’aise dans ce monde masculin de la boutique. »
Ahmed se sentit, lui aussi, très gêné.
La fille se leva doucement de sa chaise et sortit en baissant les yeux,
vaincue !
Ce face à face entre deux cultures et deux manières d’être et de voir le
monde est tout simplement terrible, c’est un combat à mort car si l’un des deux systèmes admet de vivre avec l’autre, le dernier justement refuse
toute idée de se côtoyer en paix.
Ahmed aura constaté de visu le malheur que vit toute la Kabylie : Intolérance, fanatisme, extrémisme,
questionnements…